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Présentation
Homme politique, astronome et mathématicien
persan, Nasîroddîn Tûsî (1201-1274) fut également l’un des philosophes les
plus importants de l’islam classique. Sa vie, comme son œuvre, s’ordonne
selon deux grandes périodes. La première
est contemporaine de la réforme introduite dans le shî’isme ismaélien par
les imâms d’Alamût. Converti à l’ismaélisme, Nasîroddîn Tûsî rédigea, à
l’usage de ses amis, deux œuvres majeures ; L’Éthique dédiée à
Nâsîr et le Commentaire des ishârât d’Avicenne. Il faut y
joindre le présent traité, Rawdat al-taslîm, littéralement
« le jardin de la soumission » – soumission à la vraie foi,
c’est-à-dire au Résurrecteur proclamé par la communauté ismaélienne. Cet
ouvrage constitue le témoignage essentiel le plus complet sur l’événement
« messianique » d’Alamût. Après
la prise d’Alamût par les Mongols, puis celle de Bagdad par Hûlâgû Khân
(1258), Nasîroddîn Tûsî devint le plus grand des intellectuels du shî’isme
duodécimain de son temps, fondant le Kalâm shî’ite et fusionnant
l’avicennisme, la gnose illuminative de Sohravardî, et l’enseignement
dogmatique du shî’isme.
Extraits de presse
Libération, 13 février
1997, par Maati
Kabbal, Le messie
d’Alamût Depuis l’assassinat d’Ali,
quatrième calife et imâm spirituel des chutes, les luttes de succession
ont bien souvent débouché sur de sanglantes sécessions. L’ismaélisme, l’un
des schismes chiites les plus radicaux, qui donna naissance plus tard à la
secte des Hashâchîn, Assassins, en offre l’exemple. L’autre branche
restera attachée au chiisme duodécimain dit des « douze imâms »,
majoritaire en Iran et en Irak. Entre les deux familles chiites, les
exécutions avaient pris bien des fois le pas sur l’exégèse !
L’ismaélisme connut ses heures de gloire sous la dynastie fatimide qui
régna en Afrique du Nord, puis en Égypte de 909 à 1171. L’onde de choc
toucha également la Syrie, la Palestine et l’Iran, où la forteresse
d’Alamût, dans le Nord, est proclamée place forte ismaélienne de la
Convocation, où aura lieu la Résurrection des résurrections. Jusqu’à la
prise d’Alamût par les Mongols en 1256, la communauté ismaélienne y vivra
recluse dans l’attente de cet avènement. Dans la reddition de la
forteresse, la médiation du grand théoricien de l’ismaélisme, Nasîroddîn
Tûsî, fut décisive. Mathématicien,
philosophe, astronome, homme politique, Nasîroddîn Tûsî naquit à Tûs, dans
le Khorâsan, le 18 février 1201. Issu d’une famille de lettrés
chiites duodécimains, il étudia le Coran, les Hadiths, les Dits du
prophète, la jurisprudence ; fut initié à la métaphysique. Lorsque
adolescent il se rend à Nishâpur, foyer de mécénat et haut lieu du savoir,
il étudie la philosophie, les mathématiques, auprès de grands maîtres.
Vers 1227, il quitte Nishâpur et rejoint les ismaéliens nizârîs d’Orient
Ce ralliement dote l’ismaélisme d’un sang nouveau. En 1256, sur les
conseils de Tûsî, le dernier imâm d’Alamût, Khwurshâh, se rend aux
Mongols, évitant ainsi le sac de la forteresse. Auprès du conquérant, Tûsî
joue le rôle de savant de la cour et contribue à éduquer des rustres venus
de la steppe. À la fin de sa vie, Tûsî renoue avec la religion de son
enfance, le chiisme duodécimain. Il meurt en 1274 en laissant derrière lui
une œuvre imposante, dont Rawdat al-taslîm, « Le Jardin de
la soumission », est un des plus beaux
fleurons. Ce texte, traduit et présenté
aujourd’hui par Christian Jambet, est un guide destiné à fortifier le
savoir du disciple en matière de résurrection. Le livre est conçu comme un
ensemble de spéculations, vingt-sept au total, sur des questions
ontothéologiques, tels l’unicité, la matière, l’âme, les cycles de la
prophétie, la résurrection, etc. La morale y occupe une place primordiale.
« L’œuvre proprement ismaélienne de Nasîroddîn Tûsî s’est
principalement consacrée à l’éthique, la réflexion morale en occupe le
centre, le foyer générateur », souligne Christian Jambet dans
l’introduction à ce texte. Nasîroddîn Tûsî œuvre en fait pour une
« purification éthique », au terme de laquelle l’homme accède au
stade de la divinisation. À rebours de l’exégèse exotérique, attachée au
patent, l’auteur nous propose une exégèse ésotérique destinée à lever le
voile sur le royaume du Semblant, synonyme de fausseté, et à nous faire
accéder à celui du Réel, dont le démiurge n’est autre que le Résurrecteur.
En attendant l’avènement de ce dernier, le fidèle doit annihiler son moi
au profit d’un recueillement devant la volonté de l’imâm. Il est donc
appelé à engager un combat majeur contre soi. « La fondation de la
purification des mœurs consiste à ne pas s’aimer soi-même et en
l’obéissance aux ordres et aux indications des imâms du Réel, parce qu’ils
sont la cause et la raison d’être de l’existence de tout ce qui advient,
de tous les existants, libres qu’ils sont du corps et de l’esprit »,
indique Tûsî. Pendant prés d’un demi-siècle, la communauté alamûtie vivra
en dehors du credo légalitaire des Shari’ât, des observances
légales ; ce qui lui a valu d’être couverte d’anathèmes. La chute de
la forteresse sera le premier signe du crépuscule de l’ismaélisme alamûti.
Dans ce texte, nourri de spleen mystique et de nostalgie, Nasîroddîn Tûsî
nous indique les horizons à la fois lumineux et nébuleux de l’une des
expériences messianiques les plus démesurées. |