La Convocation d’Alamût

Rawdat al-taslîm (Le Jardin de la vraie foi)
Somme de philosophie ismaélienne

par Nasîroddîn Tûsî
Traduction du persan, introduction et notes par Christian Jambet
Ouvrage publié en coédition avec les Éditions de l’Unesco

384 pages, 185 F, 1996
28,46 euros

ISBN : 2-86432-242-0

    

    

Présentation

     Homme politique, astronome et mathématicien persan, Nasîroddîn Tûsî (1201-1274) fut également l’un des philosophes les plus importants de l’islam classique. Sa vie, comme son œuvre, s’ordonne selon deux grandes périodes.
     La première est contemporaine de la réforme introduite dans le shî’isme ismaélien par les imâms d’Alamût. Converti à l’ismaélisme, Nasîroddîn Tûsî rédigea, à l’usage de ses amis, deux œuvres majeures ; L’Éthique dédiée à Nâsîr et le Commentaire des ishârât d’Avicenne. Il faut y joindre le présent traité, Rawdat al-taslîm, littéralement « le jardin de la soumission » – soumission à la vraie foi, c’est-à-dire au Résurrecteur proclamé par la communauté ismaélienne. Cet ouvrage constitue le témoignage essentiel le plus complet sur l’événement « messianique » d’Alamût.
     Après la prise d’Alamût par les Mongols, puis celle de Bagdad par Hûlâgû Khân (1258), Nasîroddîn Tûsî devint le plus grand des intellectuels du shî’isme duodécimain de son temps, fondant le Kalâm shî’ite et fusionnant l’avicennisme, la gnose illuminative de Sohravardî, et l’enseignement dogmatique du shî’isme.

 

Extraits de presse

     Libération, 13 février 1997,
     par Maati Kabbal,
     Le messie d’Alamût
     Depuis l’assassinat d’Ali, quatrième calife et imâm spirituel des chutes, les luttes de succession ont bien souvent débouché sur de sanglantes sécessions. L’ismaélisme, l’un des schismes chiites les plus radicaux, qui donna naissance plus tard à la secte des Hashâchîn, Assassins, en offre l’exemple. L’autre branche restera attachée au chiisme duodécimain dit des « douze imâms », majoritaire en Iran et en Irak. Entre les deux familles chiites, les exécutions avaient pris bien des fois le pas sur l’exégèse ! L’ismaélisme connut ses heures de gloire sous la dynastie fatimide qui régna en Afrique du Nord, puis en Égypte de 909 à 1171. L’onde de choc toucha également la Syrie, la Palestine et l’Iran, où la forteresse d’Alamût, dans le Nord, est proclamée place forte ismaélienne de la Convocation, où aura lieu la Résurrection des résurrections. Jusqu’à la prise d’Alamût par les Mongols en 1256, la communauté ismaélienne y vivra recluse dans l’attente de cet avènement. Dans la reddition de la forteresse, la médiation du grand théoricien de l’ismaélisme, Nasîroddîn Tûsî, fut décisive.
     Mathématicien, philosophe, astronome, homme politique, Nasîroddîn Tûsî naquit à Tûs, dans le Khorâsan, le 18 février 1201. Issu d’une famille de lettrés chiites duodécimains, il étudia le Coran, les Hadiths, les Dits du prophète, la jurisprudence ; fut initié à la métaphysique. Lorsque adolescent il se rend à Nishâpur, foyer de mécénat et haut lieu du savoir, il étudie la philosophie, les mathématiques, auprès de grands maîtres. Vers 1227, il quitte Nishâpur et rejoint les ismaéliens nizârîs d’Orient Ce ralliement dote l’ismaélisme d’un sang nouveau. En 1256, sur les conseils de Tûsî, le dernier imâm d’Alamût, Khwurshâh, se rend aux Mongols, évitant ainsi le sac de la forteresse. Auprès du conquérant, Tûsî joue le rôle de savant de la cour et contribue à éduquer des rustres venus de la steppe. À la fin de sa vie, Tûsî renoue avec la religion de son enfance, le chiisme duodécimain. Il meurt en 1274 en laissant derrière lui une œuvre imposante, dont Rawdat al-taslîm, « Le Jardin de la soumission », est un des plus beaux fleurons.
     Ce texte, traduit et présenté aujourd’hui par Christian Jambet, est un guide destiné à fortifier le savoir du disciple en matière de résurrection. Le livre est conçu comme un ensemble de spéculations, vingt-sept au total, sur des questions ontothéologiques, tels l’unicité, la matière, l’âme, les cycles de la prophétie, la résurrection, etc. La morale y occupe une place primordiale. « L’œuvre proprement ismaélienne de Nasîroddîn Tûsî s’est principalement consacrée à l’éthique, la réflexion morale en occupe le centre, le foyer générateur », souligne Christian Jambet dans l’introduction à ce texte. Nasîroddîn Tûsî œuvre en fait pour une « purification éthique », au terme de laquelle l’homme accède au stade de la divinisation. À rebours de l’exégèse exotérique, attachée au patent, l’auteur nous propose une exégèse ésotérique destinée à lever le voile sur le royaume du Semblant, synonyme de fausseté, et à nous faire accéder à celui du Réel, dont le démiurge n’est autre que le Résurrecteur. En attendant l’avènement de ce dernier, le fidèle doit annihiler son moi au profit d’un recueillement devant la volonté de l’imâm. Il est donc appelé à engager un combat majeur contre soi. « La fondation de la purification des mœurs consiste à ne pas s’aimer soi-même et en l’obéissance aux ordres et aux indications des imâms du Réel, parce qu’ils sont la cause et la raison d’être de l’existence de tout ce qui advient, de tous les existants, libres qu’ils sont du corps et de l’esprit », indique Tûsî. Pendant prés d’un demi-siècle, la communauté alamûtie vivra en dehors du credo légalitaire des Shari’ât, des observances légales ; ce qui lui a valu d’être couverte d’anathèmes. La chute de la forteresse sera le premier signe du crépuscule de l’ismaélisme alamûti. Dans ce texte, nourri de spleen mystique et de nostalgie, Nasîroddîn Tûsî nous indique les horizons à la fois lumineux et nébuleux de l’une des expériences messianiques les plus démesurées.