LES SCIENCES ET LA PHILOSOPHIE

dans les épîtres des Frères de la pureté (Ikhwan al safa)

1- LES SCIENCES MATHEMATIQUES

Le dixième siècle fut dans le monde islamique une période de foisonnement des tendances et des idées venu de l'occident et de l'orient. C'est aussi l'époque où des savants ont donné à la sciences une importance colossale. Dans cette siècle deux oeuvre majeur ismaéliens ont vu le jours, la première est constituée d'un nombre considérable de traité sur alchimie attribués à Jabir ibn Hayan toussi et la seconde fut écrite sous forme d'épîtres par les « frères de la pureté » de l'organisation ismaéliens de Bassora. La doctrine des Ikhwan est une synthèse parfaitement adaptée a l'islam, des grandes philosophies spiritualiste Hellénique de l'antiquité notamment du Pythagorisme, Hermétisme, Platonisme dominée par le néoplatonisme et les grandes religions comme Zoroastrienneisme, Hindouisme, Juive et Christianisme. Les épîtres ont été achevée entre 950 et 980 par les grandes savants de l'époque et auraient eu pour l'initiateur de la rédaction mais non auteur, l'Imam Ahmad, un des Imam ismaéliens, peu avant la proclamation du calife Fatemide en Afrique du Nord. Les épîtres sont destinées à guider la montée des âmes, bien qu'elles soient comme remède, elles peuvent représenter un danger une fois qu'elles puissent tomber entre les mains de gens inaptes à les comprendre et surtout de gens indignes qui en feraient un mauvais usage et c'est pourquoi certains points particulièrement importants sont exposés ésotériquement et par allusions. Pour avoir une idée générale sur les Frère de la pureté, nous laisserons les détails de leur enseignement et passerons directement à l'examen des passage susceptible de mettre en relief quelques traits de leur pensée générale et de quelques aspects de leur Esprit. La doctrine des Ikhwan au sujet de la création est un doctrine émanatiste selon laquelle la création constitue un descente des âmes suivie d'une lente remontée basé sur ce principe que « du 'un' ne peut sortir que le 'un' ». L'influx divin produit l'intellect universel qui a son tour , produit l'âme universelle, qui produit la matière première (inerte et pratiquement inexistant). L'intellect reçoit de dieu un influx ininterrompu qui lui a fourni les modelés de toutes les créatures, de leur évolution et de tous les événements futures; et l'intellect à son tour les fournit à l'âme, dans son influx lui aussi. C'est là un monde purement spirituel, sans temps ni espace. Mais à un moment donné, à l'aide des archétypes, c'est à dire des modelés que dieu par le canal de l'intellect, lui fournit, l'âme se mit à construire le monde matériel. Epousant la matière première, elle lui a donné trois dimensions, et c'est devenu un corps sphérique, à savoir le corps de l'univers matériel, uniforme, qui se trouve donc dans un espace fini (il n'y a pas d'autre espace hors de lui) . puis elle envoie ses facultés jusqu'au centre de cette sphère. C'est-à-dire au centre de la future terre. Les facultés parvenues à l'emplacement du bas-monde sont la Nature. Puis l'âme fit tourner les sphères célestes et les astres et, avec leur aide, la Nature construit tous les être d'ici-bas: d'abord les quatre éléments (terre, eau, air, et feu) qui à eux quatre sont doués des quatre natures, c'est-à-dire le chaud, le froid, le sec et l'humide, couplés deux à deux dans les éléments. C'est quatre nature sont des véritables facultés physiques élémentaires, ou plutôt les formes données aux éléments par ces facultés naturelles. Puis la Nature et l'influence des astres ont combiné les quatre éléments et fait apparaître, par une véritable évolution, minéraux, puis végétaux, puis animaux, et enfin l'homme. Tous ces êtres sont doués d'âmes qui sont des facultés de l'âme universelle ou de la Nature, elle-même d'ailleurs faculté de l'âme. Les épîtres des frères de la pureté ont été appelées 'Encyclopédie », car elles sont une synthèse de la science et de la pensée de l'époque. Se basant sur leurs principes pédagogiques et leur conception des niveaux de la raison, les auteurs prétendent aller du concret à l'abstrait, du sensible au rationnel, jusqu'aux limites de l'inconnaissable. Ils ont donc divisé les cinquante deux épîtres de leur livre en quatre parties qui sont: 1) les sciences mathématiques.
2) la sciences physique et les sciences naturelles.
3) les sciences physiques et intellectuelles.
4) les science légales et métaphysiques.

Les sciences mathématiques

Les sciences mathématiques comprennent quatre discipline: l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique. Elle s'enrichis de deux autres discipline, la géographie et la science des relations.

Arithmétique: L'arithmétique en première lieu " est la connaissance des propriétés des nombres et de leur correspondance avec les notion des êtres". La génération des nombres, à partir du nombre 'un' occupe une place centrale dans la deuxième définition. "L'arithmétique étudie la nature des nombres, la quantité et les propriétés des ces différents genres. Elle examine la génération des séries numériques à partir du nombre 'un' et précise les notions qui résultent de leur combinaison". C'est à cette définition que répond effectivement le développement des idées arithmétiques des Frère.

Unité: Les chose peut être une ou plus qu'une. " Il y a deux manières de comprendre qu'une chose est une. La première consiste à entendre réellement la simplicité et l'indivisibilité de cette chose. En second lieu, on peut désigner par une, au sens figuré, chaque ensemble donné, pris comme tel; exemple: un dizaine, une centaine etc....". Aussi , le nombre un se définit-il de deux sortes . "Au sens propre d'abord, il est tout être ou tout chose indivisible et qui ne contient que lui même. Au sens figuré ensuite, le nombre un est tel que par rapport à un autre étalon. Autrement dit, il est un par l'unité, L'unité, elle, est une qualité de l'un et équivaut à la noirceur pour le noir". C'est cette unité ainsi conçue qui se trouve à la base des nombres. Au lieu de constituer une donnée immédiate du monde réel, la notion de l'unité est "simplement conçue par l'esprit". Elle s'oppose à la multiplicité des unité. il es vrai que, par sa nature, le nombre n'est que " L'image spirituelle résultant dans l'âme humaine de la répétition de l'unité. Mais les nombres ne commencent , du point de vue de la pluralité, qu'avec le nombre deux, pour continuer avec trois et ... jusqu'infini".

Multiplicité: Quand à la multiplicité, elle peut être soit un nombre, soit une chose nombrée. Dans la première cas, "elle est la quantité des images des choses dans l'âme de celui qui compte " et dans le second cas, elle ne diffère point des choses comptées et le calcul n'est, en ce sens, que la réunion ou la séparation (addition ou soustraction) des nombresŠ Que les nombres soient entiers ou fractionnés, le "un" qui précède le "deux" dans la série numérique normale se trouve toujours à l'origine. C'est avec le nombre un que s'effectuent, en effet, la génération des nombres entiers par l'addition et leur analyse par la soustraction". Chaque nombre possède une ou plusieurs propriétés qui caractérisent spécifiquement une chose ou un être (la qualité). La propriété du nombre "un" consiste par exemple, en ce qu'il est d'origine et la source des nombres. En revanche, si on relève les nombres de l'ordre existentiel, la propriété de l'un, l'unité, subsiste et ne s'altère point ". Aux yeux des Frères " La théorie du nombre est la sagesse divine et est au-dessus des choses. Les choses ne sont formées que d'après le modèle des nombres ".

Géométrie: La géométrie, la deuxième branche des sciences mathématiques, se définit comme " la connaissance des grandeurs et des dimensions, de la quantité et des propriétés de leurs genres, et enfin des notions qui résultent de leur combinaison ". D'après les ikhwan, il y a deux sortes de géométrie :
1) " la géométrie sensible, qui se définit par la connaissance des grandeurs concrètes et des notions qui résultent de leur comparaison ;
2) la géométrie, dite rationnelle qu'implique la connaissance des dimensions (abstraites), et sont des images mentales, et des notions qui résultent de leur comparaison et de leur combinaison au sein de l'âme humaine ". La géométrie sensible et la géométrie rationnelle étudient le même objet à savoir les trois éléments suivants : la ligne, la surface et le corps. Tandis que la ligne concrète est une grandeur qui ne possède qu'une qualité, la longueur, la surface ou plan sensible une deuxième grandeur douée de deux qualités, la longueur et la largeur ; et le corps réel enfin une troisième grandeur se distinguant par la possession de trois qualités : longueur, largeur et la profondeur, un certain point, le point concret, constitue la base de leur commune origine. Il en est de même, d'ailleurs, des rapports des trois dimensions " le point rationnel ". D'une manière générale, le rôle que joue le point en géométrie ressemble à celui du nombre " un " dans la science des nombres. " C'est le point concret qui constitue, par son ordination la cause de l'apparition de la ligne concrète à la vue. Nous ne disons pas que ce point concret est une chose indivisible : l'indivisibilité est à ce sujet un attribut exclusif du point dit rationnel. De même que, dans la série numérique, le nombre un est l'origine du deux, deux étant l'origine des nombres pairs etc., le point concret en géométrie sensible à l'origine de la ligne. Les lignes qui voisinent entre elles se trouvent à l'origine de la surface. Et les surfaces qui se superposent constituent le corps perceptible par les sens. Cependant, la notion de mouvement joue, à côté de celle du point rationnel, un grand rôle dans la génération des êtres de la géométrie abstraite. Ce qu'on appelle un point rationnel n'est ni une donnée du réel, ni une chose perceptible par les sens. C'est une notion conçue par l'esprit dont on ne peut avoir qu'un schéma explicatif en l'imaginant comme le point de brisure d'une ligne donnée à n'importe quel endroit. La ligne rationnelle est aussi une direction plus qu'une réalité. Elle n'est point visible et provient du mouvement d'un point rationnel dans une direction simple. Ce mouvement est lui-même imperceptible et n'est simplement conçu que par l'imagination. En conclusion, "l'intérêt suprême de cette science réside, en ce qu'elle permet à l'âme humaine d'exercer ses facultés de réflexion et de méditation, indépendamment de tout recours aux données des sens provenant du monde extérieur. L'âme s'accoutume ainsi de se passer de l'intervention du corps pour acquérir le savoir. Elle se lasse ensuite d'y séjourner trop longtemps et désire s'en séparer afin de rejoindre, grâce à son ascension céleste, le monde des esprits et de la vie éternelle ".

Astronomie : La science des astres se divise en trois disciplines : 1) L'astronomie proprement dite ou science de l'aspect. Elle se propose d'étudier les sphères, les étoiles, leurs dimensions, leurs volumes, leurs mouvements, les signes du zodiaque etc.
2) La science des Tables et des calendriers qui est un vaste champ d'application de l'enseignement de la première discipline.
3) L'astrologie ou astronomie judiciaire, étudie la façon selon laquelle on déduit à partir de la connaissance du mouvement des sphères et de la révolution des astres, l'arrivée des événements futurs dans le monde sublunaire. Nous ne suivrons pas ici les frères de la pureté dans tous les détails de leurs études concernant les astres, mais nous remarquerons simplement que l'idée de la correspondance des nombres et des êtres retient l'attention des auteurs en astronomie comme en arithmétique et en géométrie.
Nous retiendrons ici leur concept sur l'astrologie " L'astrologie ne prétend pas et n'a pas le droit de prétendre à la connaissance anticipée des événements. Beaucoup de gens croient que l'astrologie propose d'étudier la science de l'inconnu. Ils se sont singulièrement trompés. Ce qu'ils appellent la science de l'inconnu est plutôt la science de l'indéterminable, la prétention gratuite d'anticiper sur l'avenir en ne recourant à aucun symptôme, à aucun raisonnement, soit causal, soit déductif. En ce sens, l'inconnu n'est accessible ni aux astrologues ni aux devins, ni aux prophètes ni aux anges. C'est l'¦uvre de Dieu seul ".

La musique : la musique, quatrième et dernière discipline mathématique, est " la science de composition harmonieuse des sons ". Elle a pour objet la connaissance des lois des mélodies, l'examen des rapports selon lesquels les choses différentes et opposées se combinent, malgré leur contraste, pour constituer une seule chose, exerçant à son tour une ou plusieurs influences. En ce sens, la musique occupe, parmi toutes les professions manuelles, une place exceptionnelle. La musique a pour matière des substances spirituelles qui sont les " âmes mêmes des auditeurs ". Les sons, malgré leur riche variété, ont tous une seule et même nature physique. Développant cette assertion, les Frères étudient, longuement, la production du son, sa propagation, ses qualités, sa hauteur, son intensité et son timbre. Ils examinent les principes et les lois de la mélodie, expliquent les rapports de la composition harmonieuse des sons et des règles précises de la modulation. Il y est également question de la perception auditive, de ses lois et ses répercussions psychologiques. " Pour produire des sons perceptibles, écrivent-ils par exemple, le choc des corps doit être suffisamment violent et rapide afin d'ébranler l'air ambiant, et susciter les ondulations acoustiques qui se propagent d'ailleurs dans tous les sens à une vitesse définie. L'air, dont tous les objets sont imprégnés, est brusquement chassé par le choc des corps. Son mouvement produit dans l'espace des vibrations de formes sphériques semblables à des bouteilles de verre que l'on souffle. La propagation des ondes sonores va en diminuant et finit par s'éteindre tout à fait, à l'instar des ondes aquatiques produites par une pierre lancée dans l'eau tranquille ". Invoquant ce dernier passage et insistant particulièrement sur la théorie de la résonance, H.G. Farmer conclut " les ikhwan devaient déjà exprimer la conception de certains savants modernes, Helmoltze en particulier ". Si l'audition musicale est agréable à l'oreille grâce à la perception par l'âme du nombre de temps séparant deux mélodies d'une part et des rapports du temps des mouvements et du repos d'autre part, le mécanisme de règle de la tonalité s'explique, à leurs yeux, de la façon suivante " les notes lourdes et graves sont par rapport aux notes aiguës et légères comme les corps par rapport à la substance des âmes. Leur union au sein de la même symphonie ressemble à celle de l'âme dans le corps d'un être vivant. Ébranler les cordes serait semblable à l'écriture effectuée avec une plume lorsque les notes aiguës ressemblent aux lettres, les mélodies aux mots, le ghina(*****) à la parole et l'air au papier. Les notions de la symphonie atteignent le fond de la conscience, s'y mêlent et s'y combinent par leur essence et y suscitent la joie et l'enchantement ". Le grand plaisir que l'âme humaine éprouve en musique retient particulièrement l'attention des frères. " L'âme humaine qui s'assimile au langage de la musique, apprécie les mouvements et les repos qui seraient pour elle comme la mesure des temps et des étalons de mesure. Cette âme aura une idée raccourcie de la musique céleste puisqu'elle comprend que les mouvements des étoiles et des sphères sont aussi la mesure des siècles et les étalons pour la mesure de la durée. Si le temps sidéral était évalué par le mouvement des individus célestes, mouvement proportionnel et équilibre (harmonieux), les notes qui en résulteraient seraient semblables à celles de la musique. Ce faisant, ces âmes humaines particulières, tout en étant captives dans le monde de la génération et de la corruption, se rappelleront le plaisir ineffable du monde des sphères et la joie des âmes qui les peuplent. Elles sauraient que la musique des cieux est incomparablement plus pure et plus harmonieuse que celle qui soulève la joie des âmes sur terreŠ ".

par Dr. M. Mirshahi, M. D., Ph. D., (ref: Intermed, 5, 1999)