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Yasmin Aga Khan: Le naufrage de ma mère a bouleversé ma vie - 2009-07-22

Date: 
Wednesday, 2009, July 22
Location: 
Source: 
Paris Match
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Author: 
Pigozzi, Caroline

La princesse voulait devenir chanteuse quand elle a dû tout abandonner pour s’occuper de Rita Hayworth atteinte de la maladie d’Alzheimer

Interview Caroline Pigozzi - Paris Match

D’une jeunesse insouciante à l’enfer de la démence de sa mère, pour Yasmin Aga Khan, le choc a été brutal. En 1981, la princesse découvre que Rita Hayworth, 62 ans, est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Celle qu’on avait appelée la déesse de l’amour, et que son mariage avec le célèbre séducteur le prince Ali Khan avait hissée au rang de princesse des Mille et Une Nuits, se perd dans un crépuscule sans fin. En choisissant de l’accompagner dans cette épreuve, Yasmin fait irruption dans un univers dont elle ignore tout : elle transforme son combat, ses souffrances, en une cause universelle et crée l’Alzheimer’s Association Rita Hayworth Gala. Vingt-cinq ans après, Yasmin Aga Khan est fière des millions de dollars qu’elle peut mettre chaque année au service des chercheurs. En France, la maladie d’Alzheimer touche un million de personnes. Elle a reçu le titre de grande cause nationale.

Paris Match. Princesse, vous avez été la première personne à alerter l’opinion publique mondiale sur la maladie d’Alzheimer…
Princesse Yasmin Aga Khan. En effet, c’était en 1981, il y a déjà bien plus d’un quart de siècle, car, avant d’embrasser de façon bénévole et absolue cette cause, j’ai été confrontée à la douloureuse déchéance de ma mère, Rita Hayworth, dont on a diagnostiqué, à 62 ans, la maladie d’Alzheimer. Elle avait, depuis des mois, un comportement inhabituel sans que les médecins et ses proches ne comprennent pourquoi. Elle, naguère dotée d’une incroyable mémoire, actrice si brillante et talentueuse, n’arrivait plus à retenir ses textes. Maman perdait aussi le sens de l’orientation, confondait les choses et avait, de surcroît, des hallucinations, jusqu’à voir des intrus dans sa maison, l’entraînant à prévenir la police. Elle devenait en réalité toujours plus étrange, et moi je mettais cela sur le dos de la boisson car elle appréciait l’alcool et les grands vins !

Quand même !
Rappelez-vous ces terribles photos qui ont tristement fait le tour du monde, lorsqu’en 1981, à l’aéroport de Londres, elle a descendu, échevelée, la passerelle d’un avion. Réalisant ce jour-là que cela devait être vraiment sérieux, je l’ai alors emmenée à New York au Columbia Presbyterian Medical Center où, après de simples tests de mémoire – on lui demandait le nom du président américain, le jour et la date de la semaine, où elle habitait – et un scanner du cerveau, les neurologues ont posé le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Je n’avais encore jamais entendu ce mot compliqué hérité du nom du médecin allemand qui, le premier, avait, en 1906 à Munich, décrit cette maladie en autopsiant une femme de 52 ans au comportement singulier, dont il avait découvert des plaques et des dégénérescences des neurones dans le cerveau. Ainsi, je décidai de tout arrêter pour m’occuper de ma mère. Devenue sa tutrice légale, je l’ai prise complètement en charge, ce qui signifiait d’abord pour moi mettre un terme au chant – car je m’apprêtais à faire une carrière de chanteuse, après des études supérieures de musique à l’université de Bennington et avoir commencé à composer. Mais comment aurais-je pu avoir le cœur à cela et me lancer dans une profession aussi envahissante avec une mère si malade ! C’est à ce moment-là que je décidai de transformer ce douloureux handicap en une action positive. Profitant de la célébrité et de la gloire de celle qui avait été l’actrice la plus adulée et admirée de son temps, associant son nom à la maladie, je me suis alors mise à alerter sans relâche l’opinion publique mondiale sur la maladie d’Alzheimer.

Comment ?
D’abord en rejoignant cette année-là une modeste association créée par un homme d’affaires, Jerome Stone, en 1979. Nous étions à peine plus d’une vingtaine, tous très motivés car chacun d’entre nous avait un proche frappé d’Alzheimer. L’un de mes grands atouts à l’époque fut de connaître le président Reagan qui avait naguère côtoyé Rita Hayworth à Hollywood… Dès que je me manifestais auprès de lui, il invitait les membres de l’association et du conseil dans son bureau Ovale de la Maison-Blanche, et ce fidèlement chaque année jusqu’à la fin de son second mandat. Grâce à cela, je pus, avec notre équipe, l’alerter sur les ravages de la maladie, et lui expliquer combien le lobbying,notamment au niveau fédéral, était pour nous essentiel. Il nous aida énormément en déclarant novembre Mois national de la prévention de la maladie. Décision officiellement proclamée en novembre 1983 par le Congrès, approuvée et signée par le président Ronald Reagan en personne. Ce qui me bouleverse maintenant est de penser qu’il a lui aussi été victime de cette maladie.

Quel est aujourd’hui le bilan de toutes ces années de persévérance ?
Nous avons maintenant 75 Etats membres de l’association Alzheimer’s Disease International, dont je suis la présidente. La France a été le deuxième pays à nous rejoindre après l’Australie. France Alzheimer a été créée en 1985. Je suis fort admirative de leurs actions et des fonds très importants versés car, dans bon nombre de pays, les déductions fiscales sont beaucoup moins importantes qu’aux Etats-Unis. Nous avons aussi obtenu que le 21 septembre soit la Journée mondiale de la maladie d’Alzheimer.

Parlez-moi de vous maintenant.
J’habite dans les montagnes de l’Utah, car j’ai besoin de calme, de grands espaces… et, chaque jour, je me rends compte de la chance que j’ai de vivre à Park City. Je partage, depuis maintenant dix années, mon existence avec Blaize, un homme merveilleux. Nous avons une grande complicité et, bien que travaillant dans la
finance, il me soutient jour après jour en épousant mes doutes, mes joies dans ce domaine et dans d’autres… il me donne aussi des idées. Quant à mon fils de 23 ans, Andrew, né de mon premier mariage avec Basil Embiricos – j’ai été mariée deux fois –, il vit à New York et je le vois lorsque je m’y rends une petite semaine par mois pour les réunions de l’association. Il est très fier de mon engagement, lui qui, depuis tout petit, s’est toujours senti concerné par mon action… Si mes responsabilités me permettent de ne pas être constamment derrière un bureau, je suis bien sûr en permanence joignable grâce à mon BlackBerry. Car les ravages de cette maladie m’habitent à chaque instant, même dans mes montagnes reculées où j’ai l’impression cependant que le temps passe moins vite qu’à New York, par exemple… D’ailleurs, pour vraiment profiter de l’existence, je me lève dès 7 heures, je peux alors skier, jouer au golf… mais je suis aussi très contente à New York dans mon appartement lumineux sur Central Park.

Etes-vous fière de tout ce que vous avez fait depuis vingt-cinq ans ?
Les choses ne se présentent pas ainsi, je suis heureuse qu’au fil des ans de plus en plus de pays se soient mobilisés et aient vraiment pris conscience de ce qu’était cette maladie dégénérative – dont les premiers signes peuvent se manifester dès 30 ans. Pour ma part, je crois juste que lorsque l’on est une princesse, qui a toujours eu les moyens de mener une existence très privilégiée, on doit rendre à la société sous une forme ou une autre ce qu’elle vous a apporté. Mon quotidien me semblerait bien vide et triste si je passais mes nuits dans les soirées et mes journées à tricoter ! Car je me sens comme portée par une mission, une petite voix intérieure m’entraînant à trouver par tous les moyens la cause de ce terrible mal afin de réussir à soulager ceux qui en souffrent, ainsi que leur entourage.

Parlez-moi de votre mère…
Maman a mené une existence fabuleuse, palpitante et douloureuse à la fois. Comme actrice et sur le plan personnel, elle est presque arrivée au firmament. Elle a eu, avec mon père, Ali Khan – que les femmes considéraient comme l’un des hommes les plus séduisants de son époque –, un mariage de conte de fées… et, même s’ils ont ensuite divorcé, ils sont restés proches. Papa était chaleureux, élégant, très aimant, un être merveilleux. Avant mon père, elle avait déjà épousé Orson Welles, dont elle avait eu une fille, Rebecca, ma demi-sœur décédée en 2004. J’avais pour ma part des relations sympathiques avec Orson Welles. Maman, qui a eu beaucoup de chance jusqu’à sa maladie, était une grande dame, ayant connu le meilleur et le pire.

Regardez-vous ses films ?
Bien sûr, avec bonheur ! Channel Turner, une chaîne de cinéma, a récemment consacré un mois entier à Rita Hayworth. Chaque mardi soir, je la revoyais : quelle émotion, quelle joie pour moi, certes, mais aussi pour les cinéphiles que de pouvoir encore l’admirer, elle qui aimait tant son métier et jouait en prenant ses rôles très au sérieux. J’ai la chance qu’il reste ce genre de témoignage pour garder de ma mère le meilleur souvenir, c’est également important pour Andrew qui a très peu connu sa grand-mère car, quand il est né, elle était déjà très malade et alitée. Alors, je lui amenais son petit-fils pour qu’elle le prenne quelques instants dans ses bras, mais malheureusement Andrew n’en a plus aucun souvenir !

Craignez-vous d’être un jour victime de la maladie ?
Je ne suis ni obsédée ni rassurée, et j’avoue qu’il m’arrive parfois d’y penser, car je crois à la génétique et donc à l’hérédité. Ma mère ayant été la première victime dans notre famille, qui sait ce qu’il risque de m’arriver ! Si la maladie d’Alzheimer peut être familiale, fort heureusement elle touche rarement chaque membre d’une même famille.

Evoquons maintenant sur ce plan-là la France…
Je trouve votre pays et votre président, Nicolas Sarkozy, formidables car il a eu le courage de déclarer, en 2007, la maladie comme “grande cause nationale”, avec un plan de lutte et un centre de recherche spécifique sur les formes précoces. Il y a en France environ 10 000 personnes frappées avant 60 ans, et le chef de l’Etat a annoncé officiellement qu’il dégagerait 1,6 milliard d’euros sur cinq ans pour le plan Alzheimer. La recherche, l’amélioration de la qualité de vie, les centres d’hébergement, l’information, l’accompagnement des malades et des familles requièrent toujours plus de moyens ! C’est pourquoi j’espère qu’au travers des actions aussi exemplaires on va faire un réel bond en avant, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs…

D’où vous vient votre étonnante force ?
D’abord de l’amour de ma famille, même si, malheureusement, je ne la vois que deux ou trois fois par an, de l’affection de mes fidèles amis et, également, je crois, de mon tempérament positif et volontaire. Je suis viscéralement prise par mon action et j’aimerais plus que tout avant de mourir – j’ai 59 ans – qu’on ait trouvé comment stopper la maladie d’Alzheimer. Enfin, je remercie chaque matin le ciel de m’avoir d’abord donné la santé qui me permet d’apprécier chaque instant de l’existence car la vie est courte, et il faut donc essayer de ne pas perdre trop de temps !

www.francealzheimer.org. Alzheimer’s Disease International : www.alz.co.uk.


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