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L'ethique de l'islam guide toute mon activite - 2005-09-18

Date: 
Sunday, 2005, September 18
Location: 
Source: 
www.jeuneafrique.com/gabarits/articleJAI_online.asp?art_cle=LIN18095lthiqtivitc0
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Author: 
Jeune Afrique

A la fois chef spirituel, mécène, homme d'affaires et philanthrope, le 49e imam héréditaire des chiites ismaéliens consacre son temps et sa fortune à l'amélioration des conditions de vie des populations défavorisées. Le réseau d'institutions caritatives qu'il dirige agit en Asie et sur tout le continent.

Interview.

Le chef spirituel de la communauté islamique ismaélienne n'est pas facile à rencontrer. Toujours entre deux avions, Son Altesse Karim Aga Khan parcourt le monde en portant le flambeau de son groupe d'institutions : l'Aga Khan Development Network. La mission de l'AKDN consiste à améliorer les conditions de vie des populations défavorisées et à aider les pays en développement à prendre leur essor. Le Trust Aga Khan pour la culture supervise la restauration de la Grande Mosquée de Mopti. En visite au Mali pour suivre l'avancée des travaux, le prince effectue une sorte de retour aux sources sur le continent. Né en 1936 à Genève, de l'union d'Aly Khan et de la princesse Tajudaulah, fille d'un lord anglais, le prince Karim, qui fêtera ses 69 ans en décembre, a en effet passé sa petite enfance au Kenya. Après ses études en Suisse il entre à l'université de Harvard (états-Unis) o— il obtient un dipl'me d'histoire islamique. Descendant direct du prophète Mohammed par son cousin et gendre Ali, premier imam, et son épouse Fatima, fille du prophète, Karim succède à son grand-père, Mohamed Shah Aga Khan en 1957. Il devient à seulement 20 ans le quarante-neuvième imam héréditaire des chiites ismaéliens. Une fonction de guide spirituel (imamat) qui se transmet depuis, par voie héréditaire.

En tant que responsable et autorité suprême de la communauté, l'Aga Khan a le devoir d'aider tout ismaélien dans le monde qui se trouve dans la peine ¯. Depuis son accession à l'imamat, il n'a cessé de se préoccuper du bien-être de l'ensemble des musulmans et ne ménage pas ses efforts pour favoriser leur accès à la connaissance. Il gère une fortune immense qui ne sert que dans le cadre strict des objectifs de l'institution : réhabilitation et modernisation de l'agriculture, des systèmes scolaires et médicaux, soutien financier aux populations et aux entreprises, etc. Une charge qui fait courir ce père de quatre enfants aux quatre coins du monde. Passionné de sports équestres, l'Aga Khan, dont la vie ressemble à une course contre la montre, prend cependant le temps d'exprimer ses convictions d'une voix douce et calme. Rencontre avec un philanthrope qui a fait de la lutte contre la pauvreté son cheval de bataille.

Jeune Afrique/l'intelligent : Votre Altesse, comment rester simple quand on descend du Prophète ?

Karim Aga Khan : [Rires.] Lui-même était un homme simple. Il faut donc le prendre en exemple. Je pense que, dans l'islam, on cherche la simplicité et pas la gloire.

J.A.I. : Comment définir le r'le qui est le v'tre ? Qu'est-ce qui domine : le chef spirituel, le mécène, le philanthrope ou l'homme d'affaires ?

K.A.K. : Vous savez, l'islam considère l'action dans tous ses aspects et dépasse le cadre étroit de la vie quotidienne. Son éthique guide toute mon activité, que ce soit à travers les institutions que j'essaie de mettre en place ou dans les interprétations que je donne des grands problèmes théologiques. L'islam, c'est une voie pour toujours, pour aujourd'hui et pour demain.

J.A.I. : Justement, vous êtes connu pour privilégier la spiritualité et la philosophie de l'islam et de sa foi, qui enseigne la compassion et la tolérance. Qu'est-ce que la violence commise notamment en Irak ou à Londres au nom de l'islam évoque en vous ?

K.A.K. : Il faut d'abord comprendre la genèse de ce qui se passe aujourd'hui. En fait, qu'y a-t-il à l'origine de tout cela ? Un cumul de frustrations, le sentiment d'avoir été abusé un très grand nombre de fois. Dans l'histoire chrétienne, dans l'histoire indienne, on trouverait une multitude de dérives similaires, o— les vrais responsables de la violence ne sont pas les religions, mais les rivalités politiques. Alors évitons de mêler le nom de l'islam à des conflits qui relèvent d'un autre ordre.

J.A.I. : Sinon, qu'est-ce qui fait courir l'Aga Khan ?

K.A.K. : [Rires.] ? l'âge de 20 ans, j'ai hérité d'une fonction, d'une institution que j'essaie de renforcer, pour assurer le bien-être des ismaéliens chiites et des populations parmi lesquelles ils vivent. Depuis 1957, cette institution s'est donné les moyens d'agir et, pour cela, s'est dotée de différentes organisations, parmi lesquelles le Réseau Aga Khan de développement. Mais, confrontée à de nouveaux besoins, elle évolue sans cesse et adapte ses structures. Par exemple, nous avons récemment créé une agence, Focus Humanitarian Assistance, pour réagir aux crises ou les anticiper.

J.A.I. : En février, une nouvelle institution, l'Agence Aga Khan pour la microfinance, a été créée pour permettre aux populations vulnérables d'accéder au crédit. Croyez-vous que ce soit, à l'heure actuelle, le moyen le plus efficace de lutter contre l'exclusion économique et sociale ?

K.A.K. : Le meilleur, je me garderai de l'affirmer, mais sans doute l'un des meilleurs, car le microcrédit offre une flexibilité beaucoup plus grande que n'importe quel financement classique. Ses formules permettent aux communautés pauvres, à leurs institutions, aux organisations villageoises ou de femmes de réaliser les projets qui leur tiennent à coeur. Il contribue à la vie culturelle en finançant de nouvelles manifestations ou en soutenant celles qui existent déjà. C'est à l'évidence un remarquable vecteur de développement, et vingt-deux pays bénéficient de notre aide dans ce secteur clé.

J.A.I. : La microfinance répond-elle aux normes bancaires islamiques, étant donné que cette religion réprouve le prêt avec intérêt ?

K.A.K. : Je ne suis pas habilité à parler de la microfinance telle que d'autres organisations la pratiquent. Dans notre cas, l'intérêt exigé correspond uniquement au co-t de la gestion. Nous ne réalisons aucun bénéfice et ne déclarons aucun dividende à des actionnaires ou autres.

J.A.I. : La Fondation Aga Khan apporte une assistance financière et technique aux projets mis en oeuvre principalement en Asie et en Afrique. Pouvez-vous nous parler de votre engagement sur le continent ?

K.A.K. : Quand mon grand-père est mort en 1957, d'importantes communautés ismaéliennes s'étaient établies au Kenya, dans l'ancien Tanganyika, en Ouganda, à Zanzibar, au Mozambique, à Madagascar et au Congo belge de l'époque. ? l'heure des indépendances africaines, les présidents Senghor et Houphou‰t-Boigny ont sollicité mon aide. Nous nous sommes donc établis en C'te d'Ivoire et, à partir de là, nos institutions ont rayonné en Afrique de l'Ouest. ? l'époque, notre initiative se situait sur un terrain exclusivement économique, à l'inverse du Réseau Aga Khan qui privilégie le social, la culture et étend ses activités au Mali, au Burkina et, bient't, à d'autres pays. Cette nouvelle approche nous permet d'établir un certain équilibre entre l'Afrique occidentale, jusqu'ici désavantagée, et l'Afrique orientale, o— nous disposons d'un grand réseau d'écoles, d'h'pitaux, etc.

J.A.I. : Vos actions s'intéressent davantage à l'Afrique de l'Est, me semble-t-il. Est-ce d- au fait que vous ayez grandi au Kenya ?

K.A.K. : Non, pas du tout. Un phénomène historique ne s'explique pas. Il ne faut pas oublier qu'une population ismaélienne s'est établie dans ce pays dès les années 1800. Un grand nombre des institutions que l'on trouve en Afrique orientale ont été créées par mon grand-père.

J.A.I. : Que pensez-vous du Kenya d'aujourd'hui ?

K.A.K. : Quand j'étais enfant, Nairobi n'était encore qu'un village et nous habitions à sa périphérie. Notre propriété était régulièrement visitée par les léopards et les lions et, le soir, nous pouvions voir les animaux sauvages se promener tranquillement sous nos fenêtres ! [Rires.] Depuis, les choses ont bien changé, mais ces souvenirs d'enfance restent extraordinaires...

J.A.I. : Quels contacts entretenez-vous avec les dignitaires des autres branches ¯ de l'islam ?

K.A.K. : Nous nous voyons assez souvent, la plupart du temps au sujet de problèmes spécifiques aux pays o— j'interviens. Car je me défie de toute politique globale et préfère coller à la réalité en réagissant à des situations ponctuelles. Cela tient sans doute au pluralisme de l'islam, lui-même partie prenante d'une culture plurielle de plus en plus comprise et assumée, aussi bien par les musulmans que par le monde non musulman. En ce qui nous concerne, par vocation et par choix, nous aimons travailler dans ce cadre, qui me paraŒt essentiel pour l'avenir de l'humanité.

J.A.I. : Vous sentez-vous plus proche des chiites que des sunnites ?

K.A.K. : Naturellement, puisqu'un même principe régit nos croyances. Cependant, nous travaillons avec un grand nombre de communautés sunnites et nous nous respectons, car nous sommes tous des musulmans. Cela dit, si l'on considère la guerre civile en Afghanistan ou la situation qui prévaut aujourd'hui en Irak, ce sont des forces souvent externes à l'humain qui entraŒnent des communautés, qui avaient vécu en paix pendant des siècles, dans la spirale de la violence.

J.A.I. : Qu'aimeriez-vous que le futur imam retienne de vous ?

K.A.K. : Vous savez, mon r'le n'est que transitoire. Et, d'un imam à l'autre, notre première préoccupation, c'est la communauté ismaélienne. La deuxième, c'est que l'institution ait la capacité d'agir de manière efficace dans les différents pays o— il y a des ismaéliens, et auprès des populations parmi lesquelles ils vivent. Cependant, notre expertise dans le domaine du sous-développement nous a poussés à élargir notre champ d'action. S'il est vrai que l'on trouve des ismaéliens dans des pays comme le Kazakhstan, le Kurdistan ou le Tadjikistan, il y en a très peu au Mali ou au Burkina, mais ce sont des pays pauvres, des pays musulmans. Parce que l'islam le requiert, nous nous faisons un devoir et un bonheur d'intervenir pour essayer d'améliorer leur qualité de vie.

J.A.I. : Pris par vos multiples activités, vous ne cessez de courir d'un avion à l'autre. Comment trouvez-vous le temps de vous ressourcer ?

K.A.K. : Quand j'étais plus jeune, je faisais pas mal de sport, et cela reste pour moi le meilleur moyen de m'oxygéner. En hiver, je me réserve quelques week-ends de ski, et il m'arrive de partir deux ou trois jours en mer pour m'isoler un peu. Je m'intéresse aussi aux courses et à l'élevage des pur-sang, domaine d'activité qui ne fait pas du tout partie de l'institution et dont j'ai hérité dans des circonstances tragiques, puisque mon père est mort dans un accident de voiture. Certains de ces haras ont été conçus comme de véritables parcs et constituent des havres de verdure dans lesquels j'aime me retirer, quand il y a des décisions difficiles à prendre.

J.A.I. : Si vous deviez aller sur une Œle déserte, quels sont les trois objets que vous emporteriez ?

K.A.K. : [Rires.] Oh là là ! Je ne sais que répondre ! Je voudrais bien pouvoir me nourrir, me vêtir et survivre aussi longtemps que possible ! Et j'emmènerai de quoi pratiquer ma foi.


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