CHIISME

Le chiisme est la principale branche dissidente de l'islam : les divergences avec le sunnisme majoritaire sont moins importantes que les éléments communs, et d'abord la croyance dans un Dieu unique et dans le message de Mahomet. Le chiisme s'est constitué autour d'une question capitale, celle de la succession du prophète Mahomet. Les premiers califes, après la mort de Mahomet, sont désignés parmi les proches de celui-ci. Ali, cousin et gendre du prophète, quatrième calife, règne de 656 à 661. Déposé par une révolte, il est assassiné. La Chi'a, le " parti " (de Ali), défendit les droits de ses descendants contre les califes officiels. Ils sont, pour reprendre une expression de Louis Massignon, " les légitimistes de l'islam ".

Le chiisme a grandement évolué au cours de l'histoire : il s'est divisé en plusieurs tendances qui se définissent à partir des imams - les successeurs de Ali - auxquels elles se réfèrent. La place des imams est centrale pour le chiisme, puisque ceux-ci continuent le cycle des prophètes qui, pour les sunnites, est clos avec Mahomet. Parmi ces imams, Hussein, fils de Ali et le troisième des imams, occupe une place importante. Poursuivi par Yazid, le calife omeyade, il fut cerné à Kerbala, en octobre 680. Il résista longtemps, malgré la soif, avec ses soixante-douze compagnons, mais fut finalement tué. Le martyre de Hussein et sa résistance au " mauvais " calife jouent un rôle crucial dans la mythologie chiite. Ils ont même été utilisés dans la lutte contre le Chah d'Iran. Tous les ans, durant le mois de mouharram, des cérémonies spectaculaires, expiatoires, retracent la geste de Hussein.

Les divisions dans le chiisme tiennent non seulement à la définition de la lignée des imams, mais aussi à leur rôle. Pour le plus grand nombre - en particulier les Iraniens, les chiites irakiens et libanais -, appelés Imamites ou Duodécimains, douze imams se sont succédé tenant leur pouvoir de Dieu, ce qui les rend infaillibles. Le dernier, Mohamed, a disparu en 874. Après avoir communiqué, à travers des messagers, avec le monde extérieur, il s'est " retiré ", mais reste vivant : c'est la grande occultation. " La communauté n'a plus de chef visible absolu, jusqu'à la fin des temps où le Mahdi attendu reviendra instaurer un règne de justice et de vérité " (Yann Richard).

Le zaydisme représente une autre branche, plus modérée, du chiisme. Il ne reconnaît que cinq imams, dont la désignation tient surtout à leurs qualités personnelles ; il ne s'enferme donc pas dans le légitimisme rigide des Imamites et rejette le dogme de l'imam caché. Plusieurs dynasties zaydites ont régné dans l'histoire, en particulier au Yémen, à Sanaa, de 1592 à 1962.

Quant aux Ismaéliens, ils firent scission sur le problème de la succession du sixième imam. Ils furent à l'origine des États Karmates, de la brillante dynastie fatimide au Xe siècle en Égypte, de la fameuse Secte des assassins, fondée, dans la forteresse d'Alamut, à la fin du XIe siècle, et de la doctrine druze. Aujourd'hui, c'est l'Aga Khan qui dirige la principale communauté ismaélienne présente en Iran, en Afghanistan, au Tadjikistan, en Inde, au Pakistan, etc.

Le chiisme a joué un grand rôle dans l'histoire de l'islam. Souvent dans l'opposition, il fut l'étendard de nombreuses révoltes contre l'autorité du calife. Mais, dans de nombreux cas aussi, il n'a pas hésité, au nom de tel ou tel aspect de la doctrine, à pactiser avec le pouvoir en place.

Écartés des centres de décision en Irak, au Liban, au Pakistan, les chiites constituent encore aujourd'hui des communautés turbulentes. En Iran, où les Safavides ont fait du chiisme la religion d'État depuis le XVIe siècle, les oulemas chiites soutinrent souvent les dynasties régnantes. Mais leur participation à des mouvements de contestation a été plus grande que celle des religieux sunnites - ils disposaient, il est vrai, d'une relative indépendance économique par rapport à l'État. La révolution islamiste en Iran et la prise du pouvoir par l'ayatollah Khomeyni ont représenté une importante victoire du chiisme militant, dont l'appel a toutefois rencontré peu d'écho dans un monde islamique dominé par le sunnisme.

On compte aujourd'hui plus de cent millions de chiites, concentrés principalement en Iran, en Inde, au Pakistan, en Irak, en Afghanistan, au Yémen du Nord, dans le Golfe, en Turquie et en URSS. En Syrie, les Alaouites sont parfois répertoriés comme chiites.


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