Les Druzes


Les Druzes (en arabe Durzi, pluriel : Duruz), population du proche-Orient professant une religion musulmane hétérodoxe, sont établis dans le sud du Liban, dans le sud de la Syrie (où ils occupent notamment la zone montagneuse du Hawran, connue sous le nom de djebel Druze) et dans le nord de l’état d’Israël, en Galilée. Actuellement, l’ensemble des Druzes représente environ 400 000 personnes. Bien qu’ils ne constituent pas un groupe très important et qu’ils soient artificiellement séparés par les frontières politiques, les Druzes n’en représentent pas moins un élément dont les gouvernements dont ils dépendent doivent tenir compte en raison de leur propension à la révolte et de leur esprit d’indépendance.

Elaboration d’un système religieux

L’origine de la secte druze se situe sous le règne du calife fatimide d’Egypte, al-Hakim (996-1021) qui, à la fin de sa vie, prétendit être une incarnation divine. Cette idée fut admise par un certain nombre de fidèles, qui se groupèrent autour de l’un de ses vizirs, al-Darazi; celui-ci a donné son nom à la secte : Daraziyya ou Durziyya, d’où Druze. Darazi, poussant à l’extrême les théories dogmatiques de l’ismaélisme, mit l’accent sur la foi ésotérique et sur l’adoration de l’imam (al-Hakim), représentant de cette foi, ravalant au second rang la foi exotérique et le prophète. Darazi trouva quelque appui en Egypte auprès des communautés isma‘ilies établies dans ce pays, mais son action provoqua des troubles en 1017-1018 et al-Hakim lui retira son appui. Après la mort de Darazi, le chef de la secte fut un Iranien, Hamza b. ‘Ali, qui lui donna sa forme définitive, al-Hakim, devint l’incarnation de l’Un ultime, Hamza fut l’imam de la secte, les croyants étant répartis suivant une hiérarchie dérivée de l’ismaélisme. Les partisans du mouvement tentèrent, avec le soutien d’al-Hakim, d’imposer le "druzisme" comme seule religion, mais cette action fut la cause de graves troubles politiques.

Après la mort d’al-Hakim, ses fidèles allèrent s’établir en Syrie; ils refusèrent de croire à la mort de l’imam, qui ne pouvait être qu’une épreuve "destinée à opérer la discrimination entre croyants et hypocrites". Selon eux, il reparaîtra au moment choisi, mais jusqu’à son retour il n’y a plus à attendre d’incarnation de la divinité : c’est réclamer pour le druzisme la qualité de religion définitive et dernière de l’humanité.

En Syrie, les Druzes ont eu pour "guide" Baha’ al-din al-Muktana, qui a posé les bases de l’orthodoxie druze, contenue dans ses Lettres de la Sagesse (Rasa’il al-hikma). Mais après Muktana, tout prosélytisme a cessé, les Druzes n’ont plus accepté aucune conversion et sont devenus une communauté fermée, à la doctrine secrète, interdisant les mariages avec des membres d’autres communautés. Les Druzes ont alors formé un peuple homogène, placé sous l’autorité d’une aristocratie dirigeante. Certaines théories occidentales du XIXe siècle, attribuant aux Druzes une origine iranienne ou franque, sont dénuées de tout fondement.

Au XVe siècle, le moraliste ‘Abd Allah al-Tanukhi a réorganisé la communauté druze qui a été divisée en ‘ukkal (sages ou initiés), ayant à leur tête les ra’is al-din ou shaykh al-‘akl, chefs religieux proprement dits, et en djuhhal (ignorants ou non-initiés), membres de la communauté dirigés par des amirs (émirs).
Les Druzes estiment être les seuls à professer le tawhid (l’unité divine) dans toute sa rigueur et s’appellent eux-mêmes muwahiddun (unitaires). Ils observent sept commandements essentiels, qui ont été substitués aux cinq piliers de l’islam. Ses sept commandements sont :

  • véracité absolue entre adeptes (en revanche, la dissimulation est permise vis-à-vis des incroyants pour se défendre ou défendre la foi)
  • entraide et protection mutuelle des croyants
  • renonciation à toutes les autres religions
  • refus de toute obligation à l’égard des non-Druzes
  • reconnaissance de l’unité de Notre Seigneur (Mawlana, c’est-à-dire al-Hakim)
  • approbation de ses actions quelles qu’elles soient
  • soumission à sa volonté Pour protéger le secret de leur foi, les Druzes feignent d’accepter la foi des gouvernants dont ils dépendent, mettant ainsi en pratique constante le principe de la dissimulation.

Les adeptes de la secte druze sont considérés comme des hérétiques par tous les autres musulmans, tant sunnites que chi‘ites; ils n’ont pas d’édifices religieux et se contentent de loges, ou khalwa (retraite), auxquelles ont accès les seuls initiés; ils ne célèbrent que deux fêtes : celle de l’achoura (10 mouharrem) et celle du sacrifice.

Une histoire morcelée

Historiquement, après le XIe siècle, les Druzes du Liban et de Syrie sont passés sous la domination des Ayyubides, puis des Mameluks, et n’ont guère causé de troubles. Lors de la conquête ottomane (1516), les Druzes se rallièrent aux Turcs et, pour les récompenser, le sultan Selim Ier. accorda à l’émir Fakhr al-dîn Ier (de la maison druze de Ma‘an) la suzeraineté sur tous les Druzes du mont Liban; plus tard, cette suzeraineté fut étendue à tous les Druzes de la province syrienne, d’Alep à Jérusalem. La famille Ma‘an conserva la suprématie sur les Druzes jusqu’à la révolte et la défaite de Fakhr al-din II en 1634 à la fin du XVIIe siècle, la prépondérance passa à la famille Chihab, sauf dans le Chuf où domina la famille Djanbulat (Djoumblatt).

Dans le courant du XVIIIe siècle, plusieurs membres de la famille des Chihab se convertirent au catholicisme et s’efforcèrent de maintenir l’équilibre et les bons rapports entre musulmans et chrétiens du Liban et de Syrie. Cependant, les Druzes s’étant révoltés à plusieurs reprises, les Ottomans envoyèrent contre eux Djazzar Ahmad pacha qui, jusqu’à sa mort (1804), parvint à les maintenir dans l’obéissance. Lors de l’invasion de la Syrie par les troupes d’Ibrahim pacha d’Egypte, les Druzes soumis à Bachir II Chihab se rallièrent aux égyptiens, tandis que les partisans de Djoumblatt restaient fidèles aux Ottomans; des troubles s’ensuivirent qui durèrent pendant toute la période de l’occupation égyptienne et avivèrent l’antagonisme entre Maronites (auxquels les Chihab s’étaient joints) et Druzes; c’est seulement en 1846 que le calme revint, lorsque le ministre ottoman des Affaires étrangères mit en place une nouvelle administration : sous l’autorité du gouverneur de Sayda (Sidon), deux gouverneurs, l’un maronite et l’autre druze, assistés de conseils mixtes, dirigèrent les deux communautés.

De nouveaux incidents se produisirent en 1859 et surtout en 1860 : les Druzes du mont Liban, dirigés par Sa‘id Djoumblatt, et ceux du Hawran, menés par Isma‘il al-Atrach, attaquèrent et incendièrent des villages maronites; la situation prit un caractère d’insurrection qui gagna la Beka‘a et Damas; les Français intervinrent alors au Liban et menacèrent de pénétrer en Syrie afin de protéger les maronites. Le ministre ottoman des Affaires étrangères, Fu’ad pacha, réussit à écarter la menace française en exerçant une sévère répression contre les Druzes et en accordant un nouveau régime administratif à la province du mont Liban, qui fut placée sous l’autorité d’un mutasarrif (sous-gouverneur) unique, chrétien mais non libanais.
A la suite de ces événements et de ces mesures, de nombreux Druzes quittèrent la montagne du Liban et vinrent s’installer auprès de leurs coreligionnaires dans le Hawran et le djebel Druze, qui devint dès lors leur véritable foyer : la famille al-Atrach y joua un rôle sans cesse grandissant et, à maintes reprises, prit la tête de soulèvements contre les Ottomans. Pendant la première Guerre mondiale, Sultan al-Atrach participa aux côtés des Alliés à l’offensive contre les Turcs et entra à Damas avec les troupes anglaises et françaises en octobre 1918.

Diversité des solutions politiques

D’autres Druzes se maintinrent dans le sud du Liban où ils se groupèrent autour de la famille Djoumblatt. Après 1918, par suite du découpage des anciennes provinces ottomanes, les Druzes, en fonction de leur localisation, se trouvèrent établis sur le territoire syrien, sur le territoire libanais ou sur le territoire palestinien (régions de Safed et du mont Carmel). Au Liban, la Constitution de 1926 puis le pacte national de 1943 ont assuré aux Druzes une représentation à la Chambre des députés dans une proportion de 6.5% des sièges. En 1949, Kamal Djoumblatt, leur chef, a fondé le parti socialiste progressiste, dont les adhérents se recrutent essentiellement parmi ses fidèles. Leurs droits ayant été reconnus à l’égal des autres communautés, les Druzes ont joué leur rôle dans le jeu politique libanais jusqu’au moment où le problème des palestiniens est venu interférer dans la politique du Liban : Kamal Djoumblatt a pris alors parti pour les palestiniens; après son assassinat en mars 1977, son fils Walid assume sa succession.

Selon les estimations, le nombre des Druzes va de 200 000 à 350 000 au Liban, de 150 000 à 200 000 en Syrie; ils sont 30 000 en Israël. Les Druzes vivant dans l’état d’Israël, après une période de coopération avec les dirigeants de ce pays, ont pris, à partir de 1981, une certaine distance en raison des projets de modification de leur statut, mais aussi en raison des attaques menées par les Israéliens contre les populations arabes. Les Druzes, bien que n’étant pas comptés par les autres musulmans comme de vrais adeptes de l’Islam, essaient, sur le plan politique, de se rapprocher des Arabes et, suivant en cela la doctrine de Kamal Djoumblatt, entendent faire partie de la communauté arabe.

En Syrie, au début du mandat, les Français ont essayé de séparer le djebel Druze du reste du pays et d’en faire une province autonome; la révolte de 1925-1926, née à Damas, gagna les provinces méridionales; les Druzes y prirent une part importante; le djebel Druze fut englobé dans la République syrienne dont il devint une province avec la ville de Soueyda pour centre administratif, province au particularisme marqué, proche parfois de l’autonomie, et où la famille al-Atrach a conservé une place prédominante.

En palestine, les Druzes, d’abord soumis à l’autorité des Anglais, ont, après 1948, été intégrés dans l’état d’Israël, sans opposition apparente. A la suite de la guerre des Six Jours de juin 1967, des éléments de sécurité druzes ont été constitués par les Israéliens pour surveiller des régions arabes occupées. Cette attitude de collaboration des Druzes s’explique par leur opposition latente aux autres musulmans et le refus de ceux-ci de les compter parmi les vrais adeptes de l’islam.

L’invasion du Liban par les Israéliens en juin 1982, puis l’élection d’Amine Gemayel, représentant des phalangistes, à la tête de l’état libanais, enfin l’éviction des palestiniens ont fait redouter à Walid Djoumblatt un isolement menaçant pour la communauté druze, notamment dans le Chuf d’où il a finalement évincé les chrétiens (1983-1984). Walid Djoumblatt (chef du parti socialiste progressiste) a évolué entre les différents courants et factions politiques du Liban, en s’efforçant de ne pas se heurter à la Syrie. Les Druzes ne paraissent pas avoir été mêlés aux prises d’otages occidentaux et, lors de la constitution du gouvernement libanais, après l’élection de Elias Hraoui (octobre 1989), Walid Djoumblatt, en occupant un poste ministériel, a témoigné de son adhésion à la politique d’union, ce qui ne signifie pas qu’il envisage une disparition de l’identité druze.