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LE MONDE
17.05.03 | 14h25

Afsané Bassir Pour

Sadruddin Aga Khan, ancien responsable du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés

Le prince Sadruddin Aga Khan , ancien responsable du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), est mort, lundi 12 mai, à l'hôpital Massachusetts General, à Boston (Etats-Unis), des suites d'une longue maladie. Il était âgé de 70 ans.

Il manquait au prince Sadruddin Aga Khan la qualité essentielle pour devenir secrétaire général de l'ONU : une nationalité.

Il en avait quatre : française, britannique, pakistanaise et indienne. Issu du royaume sans territoire qu'est l'ismaélisme, il n'accepta jamais la notion de nationalisme. Péché impardonnable pour l'Organisation des Etats. Jamais remis de l'échec de sa dernière tentative pour le poste, il quitta en 1991 les Nations unies. Mais jamais ses idéaux. Idéaux qu'il défendit jusqu'à la fin de sa vie.

Né le 17 janvier 1933 à Paris, il était le fils du sultan Mohammed Shah Aga Khan III et oncle de Karim Aga Khan, chef de la communauté d'une vingtaine de millions d'ismaéliens dans le monde. Il vivait depuis 1955 dans son château de Bellerive, à Genève.

Noble, beau, dynamique et fabuleusement riche, Sadruddin Aga Khan était un prince peu ordinaire. Devenu à l'âge de 33 ans le plus jeune haut-commissaire aux réfugiés, il se rendait souvent en bateau de son château de Bellerive au siège de l'organisation humanitaire qu'il dirigea pendant douze ans et où il n'accepta jamais le moindre salaire.

Il se distingua en s'occupant énergiquement de l'exode massif des réfugiés de la guerre du Pakistan oriental - devenu le Bangladesh -, de ceux du Vietnam, ainsi que du sort des Asiatiques chassés par le dictateur ougandais Idi Amin Dada. "Son nom était synonyme de HCR, disait mardi l'actuel haut-commissaire, Ruud Lubbers. Toute la communauté humanitaire est profondément attristée par sa mort."

En 1977, il quitte le HCR pour se mettre au service de la Commission des droits de l'homme. Représentant l'ONU en Afghanistan pendant la guerre contre l'armée soviétique, il est nommé coordonnateur des affaires humanitaire en Irak après la guerre du Golfe. C'est à ce poste qu'il se bat pour la mise en œuvre de la notion d'ingérence humanitaire, avec, notamment, son soutien inlassable pour l'adoption de la résolution 688 du Conseil de sécurité de l'ONU.

Le texte a instauré un régime de protection internationale pour les populations kurdes et les chiites contre la répression du régime de Saddam Hussein : "Nous avons rédigé le texte de la 688 dans son château, à Genève, précise, de passage à Genève, Bernard Kouchner, l'initiateur de la résolution, qui ajoute : "La résolution a été le premier exemple concret du droit d'ingérence, et le soutien du prince un geste révolutionnaire au sein de l'ONU."

Exprimant sa profonde tristesse, le haut-commissaire aux droits de l'homme, Sergio Vieira de Mello, a déclaré : "Prince Sadruddin portait en lui une réserve apparemment inépuisable d'énergie et de hauteur de vues, ainsi qu'une compassion extraordinaire pour tous les humains."

Jusqu'à la fin de sa vie, Sadruddin Aga Khan a poursuivi ses combats pour la protection de l'environnement, en faveur des droits des animaux et contre l'arme nucléaire. Protecteur du massif alpin, il s'est aussi beaucoup investi pour le rapprochement des cultures.

Derrière l'homme de paix était aussi un amoureux de l'art. Il y a plusieurs collections Sadruddin Aga Khan d'art africain et surtout oriental. Le prince possédait une des plus grandes collections d'art et de calligraphie islamique au monde. Les plus célèbres de ces trésors étaient des pages du Livre des rois, un manuscrit persan de 1520. "Le sort a déraciné ma famille d'Iran pendant 130 ans, disait-il, j'aime l'idée de retrouver certaines choses et de prendre soin d'elles." Il prêta volontiers ses collections d'art islamique et africain aux musées.

"Pour aider l'humanité, aimait à dire Sadruddin Aga Khan, il faut garder la tête froide et le cœur chaud."

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 18.05.03