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Liberation
samedi 04 octobre 2003
Par OMERIC

HIPPISME. Le meilleur des jockeys, Soumillon, sur le meilleur des chevaux, Dalakhani, dimanche à Longchamp - D'une élégance remarquable, Dalakhani est un animal serein, qui ne roule pas les mécaniques malgré un palmarès imposant

Crack & crack a l'arc

Dimanche, à l'heure du prix de l'Arc de Triomphe, les regards se porteront sur un couple juvénile et princier, le poulain de l'écurie de Son Altesse Karim Aga Khan, Dalakhani, 3 ans, grandissime favori, associé à Christophe Soumillon, 22 ans, enfant terrible du turf de haut niveau. Vêtu d'une robe grise tamponnée de reflets caramel tendre, Dalakhani est un amour de cheval. Calme, attentif, avec une tête fine et racée, chanfrein droit, sincère, frontal ouvert, jolis yeux doux ourlés de paupières d'où flamboie l'intelligence, il respire la santé. D'une élégance remarquable, c'est un animal serein qui ne roule pas les mécaniques malgré un palmarès imposant : sept victoires dont le prix du Jockey-Club, et 1 265 000 euros de gains. Son unique défaite eut lieu après sa victoire dans le prix du Jockey-Club, lors du Derby d'Irlande, où il se fit cueillir les lauriers sur le fil d'arrivée par un cousin de casaque, Alamshar.

Hargne. Son jockey, qui avait déclaré que son partenaire se présenterait invaincu au départ à Longchamp, et sans avoir reçu le moindre coup de cravache, en était tout dépité. Ce jeune homme longiligne ­ 1,73 m ­ ne supporte pas d'être battu, et surtout pas lorsqu'il s'agit de son champion de pur-sang. Actuel leader du trophée de la Cravache d'Or avec une confortable avance sur Dominique Boeuf, Olivier Peslier et Thierry Jarnet, il s'est fixé pour objectif de dépasser le record de victoires en un an (200), détenu par le Texan Cash Asmussen. Ce n'est que sa septième année de compétition, mais son parcours est jalonné de succès. Originaire de Belgique où son père fut jockey d'obstacles par choix et goût de la fête, Christophe Soumillon a suivi les exploits de ce père bon vivant qui affirme : «les obstacles mettent du piment aux foulées des pur-sang, et les cafés belges sont plus conviviaux qu'en France», avant de participer lui-même à des courses de poneys où sa hargne fit merveille. A 14 ans, il entrait au centre des apprentis jockeys du Moulin à Vent à Gouvieux, dans l'Oise, à deux pas de Chantilly, capitale des pur-sang où se trouvait l'écurie de son maître d'apprentissage, Cédric Boutin. Leur rencontre sera explosive.

L'entraîneur est un homme pressé qui travaille dur. Le petit Soumillon, aussi doué et craquant soit-il, est arrogant et quelque peu «tire-au-flanc». Il a de nombreuses pannes d'oreiller qui lui vaudront autant de coups de pied au cul. On le surnomme «Soumillon l'insoumis», mais il reste la mascotte de l'écurie et son maître d'apprentissage l'engage dès ses 16 ans dans les handicaps parisiens. Haut comme trois prunes, bouille poupine, le débutant démontre déjà un culot monstre et une rage de vaincre énorme. Quatre ans plus tard, il remporte le prix du Jockey-Club à Chantilly et ne peut retenir ses larmes tant la pression fut extrême, la compétition rude et le bonheur si fou. L'année suivante, il signe un contrat de premier jockey pour la casaque verte à épaulettes rouges de l'Aga Khan qui fut jadis portée par Yves Saint-Martin. Parallèlement, il devient le jockey préféré de l'écurie d'André Fabre, l'un des plus talentueux entraîneurs. Forcément, tant de réussite en si peu de temps attise les jalousies.

Soumillon confie à Of Course, nouveau mensuel hippique, que ses confrères ne l'apprécient guère. Lors de sa deuxième victoire dans le prix du Jockey-Club, il les a tous déroutés en donnant des ordres au jockey qui était chargé, en selle sur un compagnon de casaque, d'assurer une bonne allure pour Dalakhani. «Je ne voulais pas que mes rivaux bénéficient du dos de mon leader [comme le lièvre en athlétisme, ndlr]. J'ai donc demandé à Thierry Jarnet de le faire galoper au milieu de la piste, et non pas le long de la corde.» Si la tactique avait échoué, on imagine aisément que la jeune star des pelotons se serait fait remonter les bretelles par son entraîneur et son propriétaire, seuls habilités à donner des ordres aux jockeys, lesquels sont tenus dans la mesure du possible de les appliquer. Mais le succès fut de toute beauté, et l'inspiration soudaine et clairvoyante de Soumillon, saluée comme la preuve d'une très grande maturité.

Cauchemar. Thierry Jarnet, 36 ans, ex-premier jockey d'André Fabre, plusieurs fois Cravache d'Or, ne courra pas cette fois pour les intérêts de la casaque Aga Khan, mais pour celle, blanche et noire, de la famille Devin, de passionnés éleveurs de la Sarthe. Avec Olivier Peslier (30 ans) et Dominique Boeuf (35 ans), il est l'une des plus fines et expérimentées cravaches. Lauréat de deux prix de l'Arc de Triomphe, il pourrait bien être le cauchemar de Soumillon, car son partenaire, Ange Gabriel, est un sacré cheval. De deux ans plus âgé que Dalakhani, il est lui aussi de robe grise et a l'avantage d'avoir bataillé, héroïque, à plusieurs reprises à l'étranger sur des hippodromes noirs de monde où l'ambiance électrique est similaire à ce qu'elle sera dimanche. En 19 épreuves, il en a remporté 12 et s'est placé 5 fois. Il totalise 2 241 000 euros de gains. Peu démonstratif le matin à l'entraînement, il se transforme sur la piste en un monstre de courage, mettant tout son coeur, qu'il a énorme, dans la bataille. Thierry Jarnet le connaît sur le bout des sabots.

Outsider. Qui d'autres pourraient départager ces deux grisous d'amour ou tout du moins compléter l'arrivée ? Les Anglais High Chapparal et Kris Kin, tout comme le sculptural et tardif Doyen, sont de possibles trouble-fête. Mais si cette 82e édition du prix de l'Arc de Triomphe (1,6 million d'allocations) doit se résumer à un combat de jockeys, les chances de l'Allemand, Dai Jin, sont à prendre en considération. Froid et raidillard au départ, cet outsider sera le partenaire d'Olivier Peslier (trois Arc consécutifs à son palmarès), qui le croit capable, au terme des 2 400 mètres de ce véritable championnat du monde intergénérations des pur-sang, de finir comme une flèche.