http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-340562,0.html
Le Monde
Lundi 3 Novembre 2003

SPECTACLE A Paris, le programme "...Via Kaboul" donne à entendre et à voir un florilège de musiques aux origines communes, venues de Tadjikistan, d'Ouzbékistan ou du Kirghistan

Musique savante et bardes nomades, les traditions vivantes de l'Asie centrale

Tadjikistan et ouzbékistan de notre envoyé spécial - reportage

Shoberdi Boltaev
va animer les longues fêtes familiales
avec son petit luth

Méconnue en Occident, la musique savante dite shash maqam (littéralement "six modes") est restée vivante en Asie centrale. Faite de longues suites de pièces instrumentales et vocales, cette tradition est répandue chez les Ouzbeks, les Tadjiks du Nord et les Ouïgours du Turkestan chinois. Sa préservation, face à la concurrence des musiques occidentales et locales, est due notamment à un immense travail de collectage et à la ténacité de musiciens qui ont compris l'importance de la transmission de ce savoir musical et poétique.

Abdovali Abdorashidov est de ceux-là. Après des années consacrées à l'apprentissage des cordes (sato, rabab...) auprès des grands maîtres à Tachkent (Ouzbékistan), puis à la recherche théorique au sein du groupe Nava, ce quadragénaire est retourné dans son pays, le Tadjikistan, et dirige aujourd'hui l'académie de musique de Douchambé.

Financée par la Fondation Aga-Khan, qui produit aussi, entre autres opérations, la présente tournée du programme "...Via Kaboul", l'école dispense un enseignement centré sur la relation nécessaire entre la métrique poétique et la rythmique musicale.

PLUSIEURS RÉPERTOIRES

Ici, la sélection est sévère, et les seize élèves ne seront bientôt plus que huit à affronter la douzaine de disciplines enseignées par quatre professeurs. Les jeunes garçons possèdent déjà une impressionnante maîtrise de leurs instruments (sato, tanbur, dotar...), et l'on ne peut s'empêcher de penser que peut-être parmi eux se trouvent les maîtres de demain.

Contrairement à ses homologues occidentaux, l'artiste formé à ce répertoire classique et savant ne s'interdit pas d'interpréter d'autres genres, semi-classique et même populaire. A Douchambé, la chanteuse Mastona Ergashova est la figure emblématique de cette démarche. On peut l'entendre interpréter un jour des pièces du shash maqam, s'accompagnant elle-même avec un luth tar qu'elle semble tendrement bercer dans ses bras, et le lendemain chanter debout au micro, des airs populaires dans une fête familiale (toy) donnée à l'occasion d'un mariage. Une manière d'arrondir les fins de mois et d'accélérer la reconnaissance publique. Mastona, la cinquantaine épanouie, a ainsi déjà reçu le titre d'"artiste du peuple" du Tadjikistan.

De l'autre côté de la frontière, en territoire ouzbek, dans le village de Mountchok, près de Baïsoun, Shoberdi Boltaev, à peine plus âgé que Mastona, pratique lui aussi l'alternance des genres. A cette différence près qu'il appartient à la deuxième grande tradition de la région, celle des bardes, bakshi (ouzbeks) et hafez (tadjiks). Descendant des bardes nomades qui, déjà à l'époque de Tamerlan, chantaient les épopées, il ne parcourt plus la steppe comme ses ancêtres, mais n'hésite pas à enfourcher un cheval ou même un âne pour aller animer les longues fêtes familiales, en s'accompagnant au petit luth doumbra à deux cordes. Comme son père l'avait fait pour lui dès l'âge de 7 ans, Shoberdi enseigne à son fils la pratique du chant et de l'instrument, lui apprenant phrase après phrase les interminables épopées de toute nature, sentimentales, morales, festives, religieuses ou épiques.

Jean-Louis Mingalon

Ateliers Berthier, 32, boulevard Berthier, Paris-17e. Tél. : 01-44-41-36-36. Les 7 et 8 novembre : traditions classiques et spirituelles (Boukhara, Afghanistan, Tadjikistan, Badakhshan, Baloutchistan), populaires (chants des bardes d'Ouzbékistan, Kirghizstan, Khorasan, musiques, chansons et danses de toutes les régions). 8 novembre : quatre heures de spectacle avec les traditions afghanes, baloutches, kirghizes, ouzbeks, tadjiks, badakhshanaises et du Khorasan.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.11.03