Karim Agha Khan IV, l'actuel chef de la dynastie , ici avec son homme de confiance Hubert Monzat (à gauche) (LP/FRED. HASLIN.)

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Le Parisien
Lundi 19 juillet 2004

DYNASTIE. Mais qui sont les Agha Khan ?

Souverains sans Etat, vrais chefs religieux et richissimes mécènes, les Agha Khan sont des princes mystérieux. Un livre récent vient lever le voile sur l'origine et l'histoire de cette famille dont l'actuel héritier, Karim Agha Khan IV, réside dans l'Oise

MALGRÉ sa discrétion, impossible d'ignorer la présence de l'Agha Khan dans l'Oise. D'abord, il réside à Gouvieux, où ses chevaux foulent chaque jour la piste des Aigles. Ensuite, sa casaque vert et rouge a remporté plusieurs fois ces dernières années les Prix de Diane-Hermès ou du Jockey-Club.

Enfin, totalement impliqué dans les transformations du domaine de l'Institut de France à Chantilly, c'est aussi lui qui a financé pour partie la modernisation de l'hippodrome. Cependant, que sait-on vraiment du leader de la communauté musulmane ismaélienne et de son action ? Sobrement intitulé « les Aga Khans »*, un livre de Yann Kerlau, récemment paru, éclaire utilement la trajectoire de Karim Agha Khan IV et de ses prédécesseurs. Car, avant que le vrai coeur de (son) empire ne batte dans l'Oise, il a bien fallu qu'émerge la dynastie dont il est l'héritier. C'est en fait dans la péninsule Arabique du VIII e siècle que tout commence, lorsque Ismaïl, descendant d'Ali, lui-même gendre du prophète Mahomet, est écarté du rôle d'imam, autrement dit de guide spirituel de la communauté musulmane, pour avoir été surpris... en état d'ivresse ! Le jeune homme quitte alors la maison familiale et s'en va prôner partout la tolérance, ce qui lui vaut bien vite des disciples. Répandant à leur tour sa parole, ceux-ci finiront, après sa mort, vers 762, par constituer une nouvelle branche de l'islam : les ismaéliens. Progressivement étendue à la Syrie, la Perse, l'Egypte et le Maghreb, leur communauté gagnera aussi la côte est de l'Afrique, l'Inde et le Pakistan, où elle est toujours présente aujourd'hui.

Mariage avec l'actrice Rita Hayworth

Pourtant, onze siècles s'écouleront avant l'apparition à sa tête d'un premier Agha Khan, Mohammed Hassan Hussein. Obligé de fuir la Perse après s'être révolté contre le chah, le quarante-sixième imam des ismaéliens se réfugie en 1841 en Afghanistan, y combat aux côtés des Britanniques jusqu'à leur départ de ce pays, puis soumet avec eux, en 1843, la province du Sind, au Pakistan. Fixé à Bombay à partir de décembre 1848, faute de pouvoir créer en Perse l'Etat ismaélien dont il rêve, l'imam, marié par ailleurs à une fille du chah, finira cependant par imposer aux Anglais, frappé de son autorité sur ses fidèles, la reconnaissance de son rôle spirituel éminent. De telle sorte que son titre d'Altesse, entré dans l'usage vers 1853, lui est reconnu en 1866 puis passe en 1882 à son fils, Ali Chah, Agha Khan II jusqu'à son décès, en 1885. S'ouvre alors le « règne » de Mohammed Chah Agha Khan III. Marié d'abord avec la belle Shazadi, sa cousine, puis avec Theresa Magliano, danseuse étoile, Andrée Carron, fille de restaurateurs, et enfin Yvette Labrousse, miss France 1930, celui-ci est l'une des personnalités les plus connues de son temps. Elevé en Inde, il est le premier Agha Khan à se rendre en Europe, aux Etats-Unis, en Chine et au Japon. Reçu par la reine Victoria, le Kaiser Guillaume II, le tsar Nicolas II ou l'empereur Meiji, son aura internationale devient bientôt telle que Londres l'accueille à partir de 1916 comme un chef d'Etat. Prêchant, à l'époque de Gandhi et de Nehru, la concorde entre musulmans et hindous pour éviter la partition de l'Inde, qu'il pressent et redoute, réclamant l'accession à un savoir minimum pour le plus grand nombre, l'Agha Khan III est autant diplomate que chef religieux. Membre de la Société des Nations à partir de 1934, il la présidera en 1937 et rencontrera même Hitler, à Berlin, dans le but d'empêcher la guerre qui s'annonce.

Premier investisseur privé au monde

Rédigeant son testament en 1955, Mohammed Chah ne choisit cependant pas son fils aîné comme successeur. Les démêlés conjugaux du prince Ali Khan, remarié avec l'actrice Rita Hayworth de 1949 à 1953, ont défrayé la chronique, et l'Agha Khan III lui préfère son petit-fils Karim. Né en décembre 1936, celui-ci est intronisé Agha Khan IV le 20 octobre 1957, à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Détenteur d'un passeport anglais et d'un passeport iranien et son titre d'Altesse confirmé par la reine Elisabeth II dès août 1957, Karim Agha Khan IV, prince et homme d'affaires, a conservé à sa fonction une stature internationale. Premier investisseur privé au monde, celui dont les chevaux constituent la « vitrine » n'a pas seulement repris les écuries du prince Ali Khan à Chantilly. Il fait surtout oeuvre éminemment utile depuis bientôt cinquante ans dans les pays du tiers-monde où sont ses fidèles. Aussi ne compte-t-on plus, au Pakistan, en Inde, à Madagascar, au Kenya, au Tanganyika, au Mozambique ou ailleurs ses réalisations : centres de soins, écoles, universités comme celle de Karachi ou encore hôpitaux, destinés tant à améliorer le bien-être des populations qu'à favoriser l'accès d'un nombre croissant d'individus à la connaissance.

* Editions Perrin, Paris. 465 pages. 23 € ( 150,87 F).

Pascal Corpart
Le Parisien , dimanche 18 juillet 2004