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Jeune Afrique
L'Intelligent
12 Decembre 2004

Quand l'Islam construit l'avenir

par DOMINIQUE MATAILLET

Gando, à 200 km de Ouagadougou. Les habitants de cette bourgade de 3 000 habitants ne sont pas peu fiers de leur nouvelle école primaire. Imaginé par Diébédo Francis Kéré, un architecte originaire du lieu, le bâtiment a été édifié par les hommes et les femmes du village avec des matériaux locaux, donc bon marché, ce qui n'a pas empêché de le rendre très confortable. Cette école est l'une des sept réalisations distinguées, le 29 novembre, à Agra, en Inde, par le prix Aga-Khan d'architecture.

On connaît les actions du chef spirituel de la communauté ismaélienne, l'une des branches de l'islam chiite, en faveur du développement en Afrique et dans les pays du Sud de façon générale. Mais ses interventions dans le domaine culturel sont tout aussi remarquables. Regroupées au sein de la Trust Aga Khan pour la culture, elles visent aussi bien à la revitalisation des musiques traditionnelles et à la mise en place de musées qu'à l'encouragement d'études novatrices en sciences humaines. Mais c'est peut-être dans le domaine de l'habitat qu'il faut chercher l'initiative la plus originale, avec l'attribution, depuis 1977, de ce prix d'architecture. Remis tous les trois ans, il récompense les réalisations les plus diverses, mais qui, toutes, atteignent les standards de qualité internationaux les plus élevés tout en reflétant les valeurs essentielles des sociétés - principalement musulmanes - auxquelles elles sont destinées.

Le choix des sept projets retenus en 2004 en dit long sur l'approche retenue. Ont en effet été primées des prouesses technologiques comme la bibliothèque Alexandrina, en Égypte, et les tours Petronas de Kuala Lumpur (Malaisie), les plus hauts gratte-ciel au monde. Ou une maison sur la côte de la mer Égée, en Turquie : ultramoderne, elle s'insère pourtant parfaitement dans le milieu environnant. Deux autres projets, en revanche, sont résolument axés sur le patrimoine historique : il s'agit de la restauration de la mosquée Al-Abbas, près d'Asnaf, au Yémen, et des opérations de revitalisation de la vieille ville de Jérusalem.

La dimension sociale n'est pas oubliée, puisque, outre l'école de Gando, les jurés du prix ont également distingué un prototype d'abris en sacs de sable. Mis au point aux États-Unis par un architecte iranien, ce système aussi ingénieux qu'économique est conçu pour les besoins des populations réfugiées ou déplacées.

En fondant son prix, Karim Aga Khan voulait sortir « l'architecture musulmane d'une situation de pastiche qui était celle de l'architecture européenne à la fin du XIXe siècle ». À l'époque, on ne jurait que par la période mamelouke ou fatimide. Trente ans après, le 49e imam des ismaéliens peut se féliciter des résultats obtenus. Les architectes du monde arabo-musulman s'inscrivent aujourd'hui résolument dans la modernité sans pour autant oublier les brillants acquis de leur civilisation.