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Le Guide [Belgique]
27 Decembre 2004
Le parc Al-Azhar a fait revenir les oiseaux au coeur historique de la capitale égyptienne. Offert par l’Aga Khan, il fait aussi le pari d’insuffler une nouvelle vie économique aux quartiers voisins.
Ali a récemment acquis un râteau. Son nouvel outil de travail le rapproche de ses ancêtres qui travaillaient la terre limoneuse du delta du Nil. Mais dans le paysage qui l'entoure Ali n'a plus rien de la douceur miraculeuse des terres d'antan. Aussi loin que porte le regard, c'est une mégalopole qui s'étend : immeubles de béton inachevés, toits hérissés d'antennes, brumes de pollution. Le carré de terre fertile que ratisse Ali, citadin au teint blafard, forme donc un contraste vivifiant avec l'environnement dégradé qu'offre Le Caire à ses quelque 17 millions d'habitants. Ali a la chance d'être employé dans le nouveau parc Al-Azhar, offert par l'Agha Khan à la capitale égyptienne. Un parc de 30 hectares au coeur de la ville, qui se veut à la fois un poumon vert, une source de développement pour les quartiers environnants, un espace culturel et un lieu de détente.
Le parc, qui a ouvert ses portes en octobre dernier, est l'un des projets les plus ambitieux jamais réalisés par les services culturels de l'« Agha Khan Trust for Culture ». L'idée a germé il y a 20 ans, lorsque l'Agha Khan découvre, lors d'une conférence consacrée à la croissance urbaine du Caire, que les habitants ne disposent, en termes d'espaces verts, que l'équivalent d'une empreinte de pied par personne. Il décide dès lors d'offrir à la ville non pas l'un de ces espaces publics pelés coincés entre deux voies rapides, mais un parc digne de ce nom.
Le cadeau ne sera pourtant pas accueilli à bras ouverts par les autorités, qui ne voient pas a priori l'intérêt d'un espace vert d'une telle ampleur. D'autant moins que, compte tenu de la densité de l'habitat, il ne semble pas évident de trouver quelques hectares non bâtis. Le projet dut se rabattre sur un immense dépotoir, vieux de 500 ans, situé derrière la mosquée El-Azhar. L'opération en est devenue titanesque : 80.000 camions furent nécessaires pour dégager un million et demi de mètres cubes de décombres. Le sol fut ensuite enrichi d'une couche d'argile, de sable alcalin et de terre végétale, afin de pouvoir accueillir les centaines de variétés d'arbres, d'arbustes et de plantes germés à l'extérieur du Caire, ainsi que l'élégant gazon anglais directement posé sous forme de plaques prédécoupées.
Vingt ans après, le « Central Park » égyptien a donc enfin ouvert ses portes. Hérons et aigrettes ont remplacé les rapaces du dépotoir, et viennent se poser entre les allées de palmiers, d'acacias ou de jujubiers. Le parc renoue ainsi avec un certain art de vivre arabe et musulman : à l'époque de sa construction, au Xe siècle, le Caire comptait 20 % d'espaces verts destinés aux loisirs ou au simple plaisir de la promenade. Dans la tradition des jardins persans, l'eau est omniprésente dans le nouveau parc. Domptée en cascades, en petits jets ou en rigoles, elle s'offre à l'écoute, au regard, au goût... et au rêve de ceux à qui elle manque. Vers la mosquée Al-Azhar, « la radieuse », les murs d'enceinte de l'époque ayyubide (XIIe siècle), restaurés au cours des travaux, enserrent l'oasis de verdure. Et afin de donner aux promeneurs l'occasion de se reposer et de se restaurer, des pavillons d'inspiration fatimide (Xe-XIe siècle) ont été construits, qui offrent des vues plongeantes sur le Caire. Le parc se fait alors balcon serein sur la ville grouillante.
Le projet a réussi à conjuguer réhabilitation immobilière et programmes sociaux. À l'inverse de ce que l'on observe souvent dans de telles opérations, la vie n'a pas été chassée d'Al-Azhar. Les habitants des maisons adossées au mur ayyubide ont été invités à les restaurer, avec une aide financière. Le quartier voisin de Darb El-Ahmar, l'un des plus pauvres du Caire, mais aussi l'un des plus riches en art et architecture islamiques au monde, bénéficie de multiples projets de réhabilitation socio-économiques (modernisation des logements, collecte des ordures, formation, microfinancements), qui font éclore un atelier de menuiserie par-ci, un comité de restauration d'une placette insalubre par-là.
Enfin, le parc fournit des emplois de jardiniers, d'artisans, de gardiens à la population voisine. Ahmed a ainsi appris à gratter la terre en apprenti archéologue dans les décombres entourant le mur ayyubide. Le jardin m'a donné l'impression de changer de quartier, assure le jeune homme qui travaillait autrefois dans une minuscule boutique de chaussures. Il me donne une autre vie au Caire. Un témoignage qui contraste heureusement avec les premières réactions des habitants de Darb El-Ahmar à l'ouverture du parc. Qui, craignant d'y être indésirables, voulurent arracher et emmener ce qu'ils pouvaient...
Avec les revenus du droit d'entrée (modique) et ceux des établissements de restauration, le parc devrait progressivement devenir rentable et passer, d'ici à 2007, entièrement aux mains de la Ville du Caire. Voire servir de modèle de réponse aux enfers écologiques urbains d'autres cités du tiers-monde.
Repères
Y aller. Des vols Egyptair relient directement Bruxelles au Caire, deux fois par semaine. Ils coûtent environ 500 euros. Le Parc est situé dans le centre historique de la ville, entre la mosquée El-Azhar et la Cité des Morts.
Formalités. Un passeport et un visa que l'on peut acheter pour 25 euros à l'aéroport du Caire.
Le bon moment. L'automne, l'hiver et le printemps, les températures estivales étant trop élevées (de 35 à 45).
La sécurité. Les sites touristiques sont surveillés et sécurisés.
03 décembre 2004